CHAPITRE XVII

Le procédé alchimique de transformation mis au point par Arturo est basé sur le principe suivant : il faut faire vibrer la substance de ce que l’on désire devenir à un haut niveau dans sa propre aura. Pour redevenir humaine, j’avais utilisé un peu du sang de Seymour, le plaçant dans un flacon en verre – lui-même posé au-dessus de ma tête – de façon à ce que le soleil brille à travers, tandis que j’étais allongée sur une plaque de cuivre entourée d’aimants spéciaux et de cristaux. Seul Arturo savait comment tout ce matériel fonctionne vraiment, et les branchés New Age sont encore très loin d’en savoir autant que lui. Les adeptes du mysticisme New Age prétendent qu’ils utilisent des cristaux de quartz ou des améthystes dans le but de se détendre et de lutter contre le stress contemporain, mais Arturo, lui, se servait des minéraux pour aboutir à l’éveil des consciences, voire à l’immortalité. Son unique erreur fut de chercher à obtenir l’immortalité tout en ayant une vampire – moi – comme compagne. Le prêtre qu’il était crut, à tort, que je pourrais lui fournir ce qu’il tenait pour l’équivalent du sang de Jésus-Christ. Un tel blasphème fut son péché, et lui coûta finalement sa réputation. Il avait essayé de m’utiliser, il m’avait trahi, mais il est mort à présent, et je le pleure encore aujourd’hui.

Pour retrouver mes pouvoirs de vampire, j’ai besoin de sang de vampire.

Évidemment, j’ai menti à Seymour : il m’est possible de m’en procurer — le sang de Yaksha. Le problème, c’est que la dépouille de Yaksha a sombré dans l’océan où je l’ai moi-même jetée, et que je suis incapable de la retrouver, surtout sans mes facultés de vampire. Pourtant, outre le cadavre de Yaksha, je connais un autre endroit susceptible d’avoir conservé quelques traces de son sang. Eddie Fender l’avait gardé prisonnier à l’intérieur du fourgon d’un marchand de glaces, pendant plusieurs semaines, afin de le conserver dans le froid tout en le maintenant dans un état de faiblesse. C’est de ce fourgon que j’avais tiré Yaksha, qui n’avait plus de jambes, et très peu de torse. Étant donné qu’il avait perdu beaucoup de sang à l’intérieur du fourgon réfrigéré, je devrais être en mesure d’en récupérer un peu, préservé par le froid.

Mais ce fourgon était garé dans une rue proche de l’entrepôt que j’avais fait sauter, pour en expulser Eddie Fender et son gang de vampires avant de les massacrer un par un. Ça, c’était il y a environ deux mois, et il n’y a que très peu de chances pour que le fourgon soit toujours garé au même endroit. La police a probablement procédé à son enlèvement, avant de l’expédier dans une quelconque fourrière. Tant pis : je me hâte d’aller faire un tour dans la rue en question, située dans un quartier défavorisé de la ville, dans l’espoir insensé de retrouver quelques gouttes du sang ayant appartenu à Yaksha. Les gens désespérés sont prêts à tout.

Et je découvre en arrivant que le fourgon est toujours garé au même endroit. Génial !

Un clochard en guenilles, à la chevelure d’un blanc douteux, se tient près de la portière du conducteur. À côté de lui, un Caddie plein de boîtes en aluminium et de vieilles couvertures sales, qu’on jurerait datant de la dernière Grande Dépression économique. L’homme est vieux et voûté, mais en me voyant approcher, son regard s’éclaire. Un carton de lait entre les mains, il est installé à même le trottoir. Immédiatement, comme par réflexe, je mets la main dans ma poche, pour y pêcher quelques billets. Ce clochard, ce soir, a de la chance : je vais lui donner cent dollars, en lui demandant en échange de dégager de là. Mais quelque chose dans sa voix me fait changer d’avis. Sa façon de m’accueillir est tout à fait singulière.

— Vous êtes très jolie, ce soir, déclare-t-il. Mais je sais que vous êtes pressée.

Le dominant de toute ma taille, je jette un coup d’œil autour de moi. La rue est déserte, mais il est très tard, et le quartier représente l’endroit idéal pour se faire violer ou assassiner. La dernière fois que je suis venue ici, j’ai été obligée de flanquer une raclée à deux flics qui me prenaient pour une prostituée, et qui voulaient me passer les menottes. Je dévisage le vieux clochard.

— Comment savez-vous que je suis pressée ?

Le vieux rigole, et il me paraît soudain beaucoup plus chaleureux que je ne l’aurais cru tout d’abord. Malgré la crasse dont il est couvert, l’éclat de ses yeux est au moins aussi vif que celui de son sourire.

— Je suis au courant de deux ou trois trucs, réplique-t-il. J’imagine que c’est le fourgon que vous cherchiez. Justement, je le surveillais en attendant que vous arriviez.

Je ris.

— J’apprécie cette délicate attention : je meurs d’envie de manger une glace.

Il hoche la tête.

— Le système de réfrigération fonctionne encore bien, mais je dois préciser que je l’ai réparé.

Décidément, ce clochard est étonnant.

— Vous êtes habile de vos mains ?

— Oh, quand j’étais plus jeune, j’aimais bien bricoler.

Il tend la main vers moi.

— Aidez-moi à me lever, s’il vous plaît. Mes rhumatismes me font souffrir, et je vous attends depuis si longtemps…

Je prends sa main – un peu de saleté n’a jamais fait de mal à personne.

— Vous êtes ici depuis combien de temps ?

Il époussette ses vêtements, mais ne réussit guère qu’à se salir un peu plus. En entendant la question que je lui pose, il cligne des yeux, comme s’il était ivre, bien que son haleine ne sente absolument pas l’alcool. Au lieu de me répondre, il décide de finir le carton de lait qu’il tient à la main, puis il le jette dans le Caddie.

— Franchement, je n’en sais rien, me dit-il enfin. Je crois que je vous attends depuis votre dernière visite dans le quartier.

Une étrange sensation m’envahit, je m’apprête à questionner l’insolite vieillard, mais je décide aussitôt que je ne peux pas me permettre de gaspiller de précieuses minutes en bavardant avec un vieux monsieur au milieu de la nuit.

— Je ne suis pas venue dans cette rue depuis deux mois, environ, lui dis-je en mettant la main dans ma poche. Écoutez, je peux vous donner…

— Dans ce cas, ça fait deux mois que je suis installé près de ce fourgon, m’interrompt-il. Je savais que vous reviendriez.

Ma main se referme sur une poignée de billets de vingt dollars.

— Je ne vois vraiment pas de quoi vous voulez parler, monsieur, lui dis-je calmement.

Il m’adresse un clin d’œil rigolard.

— Gardez votre argent, je n’en ai pas besoin.

Tournant les talons, il commence à s’éloigner.

— Faites ce que vous avez à faire, et personne ne pourra vous reprocher de ne pas avoir tout essayé.

Et l’étrange clochard s’enfonce dans la nuit.

Quel drôle de vieux bonhomme… Il n’a même pas emporté son Caddie.

Je me demande à qui je viens d’avoir affaire.

L’arrière du fourgon est fermé à clé, mais à l’aide d’une brique trouvée par terre, je fais sauter la poignée. J’aurais pourtant juré que j’avais déjà forcé la serrure la dernière fois que j’ai voulu entrer dans ce fourgon. À l’intérieur, la température est glaciale, et le froid me fait frissonner.

Le faisceau de ma lampe électrique éclaire soudain une petite flaque de sang gelé, tout près de la porte.

Je glisse un ongle dessous et, d’un coup sec, je la détache : aussitôt, une sensation intense de puissance me submerge. J’ai entre les mains une parcelle d’immortalité, et j’ai l’impression que c’est Krishna lui-même qui a conservé cet échantillon du sang de Yaksha, afin que je puisse le retrouver intact. De retour dans ma voiture, je brise le sang gelé en petits morceaux, que je laisse fondre dans une bouteille Thermos.

Il faut à présent que je retourne à Las Vegas. S’il n’était pas aussi tard, je prendrais l’avion, mais c’est impossible, et je suis contrainte d’y aller en voiture – quatre heures de route, l’accélérateur à fond. Je dois également me souvenir que la maison d’Arturo est probablement surveillée par des agents du gouvernement. D’après ce que j’ai lu dans les journaux, l’explosion nucléaire a entièrement dévasté la base militaire, mais je sais que les services spéciaux, même s’ils me croient morte, vont quand même poursuivre leurs recherches, jusqu’à ce qu’ils retrouvent mon cadavre.

Ce sont les rayons du soleil qui vont me permettre d’opérer ma transformation : il est essentiel que je puisse disposer d’assez de temps pour redevenir un vampire, à condition que ce soit possible, bien sûr. Peut-être vais-je me transformer en une furie assoiffée de sang, comme Ralphe, mais de toute façon, je n’ai pas le choix. Il faut que j’accepte de courir ce risque. Je n’ai pas envie d’abandonner ma nouvelle condition d’être humain, mais il me faut admettre qu’une partie de moi se réjouit à l’idée de retrouver ses pouvoirs surnaturels. Enfin, je vais pouvoir affronter ma fille sans trembler devant elle.

Bien que j’aie l’intention de trembler, surtout si j’ai réussi à redevenir un vampire…

Quand elle comprendra à qui elle s’attaque, il sera trop tard.

 

Fantôme
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